Tchang
Un jeune Chinois fait basculer Les Aventures de Tintin... Le phénomène est unique dans l’oeuvre d’Hergé : Tchang, personnage qui n’apparaît en fait que dans une quinzaine de pages des Aventures de Tintin, a joué un rôle fondamental dans l’évolution du contenu du récit, symbolisant l’ouverture au monde du créateur.
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De la réalité à la fiction
A part la notable exception d’Al Capone, c’est aussi le seul personnage réel qui figure sous son nom dans l’oeuvre. Tchang Tchong-jen était un jeune étudiant des Beaux-Arts, qui étudiait à Bruxelles.
L’abbé Gosset était lecteur de Tintin mais aussi aumônier des étudiants chinois à Louvain. Ayant appris qu’après l’Egypte et l’Inde, Tintin allait se rendre en Chine, il mit Hergé en garde contre les préjugés occidentaux courants à l’époque et l’invita à rencontrer un jeune Chinois. C’est Tchang. Pour Hergé, c’était comme ouvrir les yeux. « J’ai découvert un monde nouveau », explique Hergé.
Bien entendu, Tintin était depuis toujours dans le camp de ceux qui défendent le bon droit et luttent contre la tyrannie. Mais la découverte authentique d’une vraie civilisation par le simple contact avec un jeune homme dont le pays connaît la guerre, l’occupation et la famine va changer la manière de raconter d’Hergé, qui va axer plus systématiquement ses récits sur la dénonciation de la guerre, des trafics en tous genres et de la manipulation des peuples.
Le Lotus bleu est d’ailleurs un album où l’humour se fait rare au profit d’une émotion plus forte. Tintin pleure pour la première fois… Plus étonnant encore est le destin du vrai Tchang. La guerre rompit le contact entre les deux hommes pendant 35 ans et Tintin au Tibet fut écrit plus de vingt ans après leur rencontre, Tintin refusant de croire à la mort de Tchang comme Hergé refusait de croire à la disparition de son ami. Des retrouvailles tardives, deux ans avant la mort d’Hergé, comblèrent, dans la réalité, le fossé qu’avait déjà rempli Tintin en allant sauver Tchang au coeur de la montagne blanche…
Pour Tintin, Tchang est un double et un frère en humanité
Symbolisant cette fraternité en humanité que Tchang et Tintin ont établie d’emblée après le sauvetage de la noyade, les deux personnages ne se quitteront plus d’une semelle jusqu’au départ de Tintin de Chine, la larme à l’oeil et le mouchoir blanc de la paix agité. Tchang devient d’emblée le double de Tintin, l’éclairant sur les pièges de son pays et parvenant à lui rendre trois fois la pareille. D’abord en le sauvant des griffes des Dupondt, puis en le faisant échapper à un attentat au faux appareil photo piégé et enfin en lui sauvant littéralement la tête du fil du sabre de Didi en prenant la tête des troupes des fils du Dragon cachés dans des tonneaux d’opium.
Même taille, même âge, même endurance, même courage (« à deux, nous serions plus forts », dit Tchang), même habileté face aux forbans (la substitution de la lettre de mission des Dupondt), même absence de famille (les deux n’ont pas de parents apparents), leur destin semble si proche. Même au-delà de la vraisemblance : en quelle langue ces deux-là échangent-ils leur point de vue ? Si le vrai Tchang a appris un français très correct en Belgique, il est peu vraisemblable qu’un jeune orphelin chinois égaré dans les inondations du Yang-Tsé parle français ou anglais…