Une soirée à Radio France avec Tintin
Le Studio 104 de la Maison de la Radio et de la Musique est une scène mythique de la vie culturelle parisienne qui accueille de nombreux concerts de musiques classique et contemporaine mais aussi de la musique actuelle : Robert Plant, Eric Clapton, Sting, Carlos Santana ou encore Norah Jones s’y sont produits devant des salles combles. Lundi dernier, Étienne Daho a chanté les titres de son dernier album à guichet fermé. Ce vendredi 17 novembre, c'est au tour de Tintin, Milou, Haddock et Tharkey de monter sur scène.
19 h 30. Dans une heure, le concert-fiction programmé par France Culture, Tintin au Tibet, va commencer. Les musiciens de l’Orchestre National de France prennent place devant leurs pupitres et chauffent leurs instruments. À cet instant, comment s’imaginer que, de cette curieuse cacophonie, naîtra bientôt l’harmonie de l’ensemble ? Les cinquante-trois musiciens occupent pratiquement l’entièreté du plateau. De chaque côté de la scène sont disposés deux espaces vitrés, légèrement surélevés. Côté cour, c’est à dire à droite, huit tabourets, autant de micros et de lutrins, attendent les acteurs qui se préparent en coulisses. Côté jardin, à gauche de la scène, un bric-à-brac d’objets insolites recouvre une table nappée de velours noir. À quoi vont servir ces bouteilles, ce sac à dos, ce plumeau, ce balai et ce mystérieux chou-fleur ?
Déjà les portes de la salle s’ouvrent pour laisser entrer les spectateurs. La billetterie n’avait plus de place disponible. Les 856 fauteuils du Studio 104 ont été loués et c’est un public familial qui s’installe pour assister à l’événement. Les enfants disposent de rehausseurs pour pouvoir être à la bonne hauteur et ne rien manquer du spectacle.
Tous vêtus de noir, les comédiens se glissent discrètement derrière leurs pupitres et enfilent leurs casques qui vont leur permettre de se concentrer sur la musique et les voix de leurs partenaires. De l’autre coté, deux dames prennent place au milieu de leurs accessoires : ce sont les bruiteuses, chargées de créer les ambiances et permettre d’imaginer tous les mouvements des personnages.
Il est 20 h 30. La salle s’obscurcit et, sur la scène, quelques mots d’introduction sont prononcés par Blandine Masson, la directrice des fictions à Radio-France, et par Yves Février, le responsable du multimédia chez Tintinimaginatio. Enfin la cheffe Rebecca Tong traverse la scène d’un pas décidé, monte sur son estrade, salue le public puis fait volte-face pour lancer un signal aux musiciens qui l’observent en retenant leur souffle. Les premières notes de musique envahissent l’espace et transportent les spectateurs vers les cimes enneigées de l’Himalaya et la voix plaintive de Tchang implore Tintin de lui venir à l’aide…
Pendant une heure et demie, c’est un enchantement d’observer les musiciens faisant vibrer leurs instruments sous l’impulsion de la cheffe d’orchestre. Elle dirige l’ensemble avec une rare énergie, une formidable vibration qui se répand depuis sa baguette jusqu’à son corps tout entier. Tour à tour, elle s’élance, se tasse ou se tortille selon l’intensité des morceaux.
Les spectateurs peuvent porter leur regard du côté des comédiens qui, bien qu’entravés par les câbles des micros et des écouteurs, vivent leurs rôles avec conviction. La détermination de Tintin transparaît dans la voix chaude, feutrée mais ferme de Noam Morgensztern, dont la jeune carrière est déjà riche de beaux rôles tant sur les planches que devant la caméra. Il faut regarder ses mains dont les mouvements expriment la volonté de Tintin d’aller au bout du monde pour secourir son ami. Mais que serait Tintin sans son fidèle compagnon à quatre pattes ? Ce rôle si particulier a été confié à la comédienne Marina Cappe qui fait exister Milou à tout instant par ses respirations, halètements, gémissements, jappements et… hurlement à la mort ! Il est nécessaire d’observer attentivement le visage de la jeune femme pour se persuader que c’est bien elle qui émet tous ces sons et qu’il n’y a pas un vrai fox-terrier sur scène. À leurs côtés, Thierry Hancisse, comédien d’origine liégeoise qui a souvent mis sa belle voix grave au service des grands textes du répertoire, donne au capitaine Haddock toute la complexité de sa nature généreuse et impulsive, entraînant le public dans l’émotion et, l’instant d’après, dans l’hilarité la plus franche. Ce trio est guidé jusqu’à l’épave de l’avion par Tharkey, le Sherpa au grand cœur interprété par Clément Bresson qui a su trouver le phrasé juste sans accent superflu. Un accent, lui, il en possède un : le porteur sur lequel Haddock se cogne à tous les coins de rue, et pour cause : Rajesh Khatiwada est originaire du Népal et il n’hésite pas à invectiver le capitaine dans sa langue natale. Christian Gonon campe un Grand Précieux digne et plein de sagesse. Pierre Louis-Calixte incarne successivement un employé de l'hôtel des Sommets, Tcheng Li-kin et Foudre Bénie. Enfin, Claire de La Rüe du Can, après avoir été tour à tour la propriétaire du chien pékinois et la femme de chambre enrhumée, se mue en un Tchang délicat et fragile qui dévoile sa grande sensibilité lors du récit poignant de son enlèvement par le yéti.
De l’autre côté de la scène, deux personnages s’agitent dans leur cage de verre. Sophie Bissantz et Élodie Fiat sont bruiteuses. En réalité elles sont les magiciennes de la fiction radiophonique car elles permettent aux auditeurs d’imaginer les décors dans lesquels évoluent les protagonistes. Tantôt marchant sur place l’une derrière l’autre d’un pas décidé sur un carré de moquette pour faire sentir au public la volonté du capitaine de convaincre Tintin à travers les couloirs de l’hôtel des Sommets, tantôt piétinant un bac plein de gravier pour accompagner la troupe sur les routes du Népal. Ces deux artistes sont constamment en activité. Elles débordent d’imagination pour trouver l’accessoire dont le bruit évoquera avec une incroyable justesse l’objet que les personnages sont supposés utiliser ; ainsi un anorak sur un cintre dont la fermeture à glissière est tirée d’un coup sec permet de reconnaître l’ouverture et la fermeture de la tente du capitaine, excédé d’entendre la voix de la Castafiore lors du bivouac au pied de la montagne. Mais à quoi peut bien servir un chou-fleur dans Tintin au Tibet ? Et bien, lorsque, après la tempête, Tharkey et Haddock partent à la recherche de Tintin et Milou, un pic planté dans le légume figure un piolet dans la neige ! Il suffisait d’y penser.
Après la plainte déchirante du yéti rendu à sa solitude, le concert se conclut par le thème envoûtant des Aventures de Tintin, composé par Olivier Daviaud, musicien aguerri à la composition de bandes originales de films et fidèle collaborateur de grands noms de la chanson française actuelle.
C’est le moment pour le public d’exprimer le plaisir qu’il a éprouvé au cours de cette soirée par des applaudissements enthousiastes qui appellent les artistes à s’avancer au bord de la scène. L’hommage, amplement mérité, va se poursuivre durant de longues minutes.
La joie se lit dans le regard des enfants qui quittent la salle. Elle en dit long sur la capacité d’émerveiller de ce grand raconteur d’histoires que fut Hergé.
Ce moment exceptionnel est le fruit de plusieurs mois de travail avec des équipes réunies vers ce seul objectif par le réalisateur Benjamin Abitan. Il a su insuffler à chacun sa passion pour Tintin.
Le concert a été diffusé en direct sur les ondes de France Culture et fera prochainement l’objet d’un feuilleton radiophonique qui rejoindra la collection de podcasts déjà riche de six titres inspirés des albums d’Hergé : Les Cigares du Pharaon, Le Lotus bleu, Les 7 Boules de cristal, Le Temple du Soleil, Les Bijoux de la Castafiore et Le Secret de la Licorne.
Katell Guillou : adaptation
Olivier Daviaud : musique originale
Didier Benetti : orchestration
Orchestre National de France :
Luc Héry : Premier Violon
Rebecca Tong : direction
avec la troupe de la Comédie-Française :
Thierry Hancisse : le capitaine Haddock
Christian Gonon : le Grand Précieux
Pierre Louis-Calixte : Foudre Bénie, Tcheng Li-kin, un employé de l'hôtel des Sommets
Noam Morgensztern : Tintin
Claire de La Rüe du Can : la cliente au pékinois, la femme de chambre enrhumée, Tchang
Clément Bresson : Tharkey
et
Marina Cappe : Milou
Rajesh Khatiwada : le porteur
Sophie Bissantz et Élodie Fiat : bruitages